Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La mansarde anglaise
16 février 2017

Tu t'es vu(e) quand t'as peur?

J'ai longtemps été une personne relativement froussarde. Quand j'étais petite, j'avais peur des trucs les plus bizarres:

- des feux d'artifice

- des fanfares

- d'une attraction dans une fête foraine

- de sauter des plongeoirs

- du Père Noel

- des abeilles (je reste le meilleur baromètre de détection des insectes à rayures les plus proches)

- des aiguilles (très probablement depuis que j'ai vu le film A Nous Quatre)

- du Clown dans Ca

- des Martiens dans Mars Attack quand leur tête explose en un embrouillamini de purée verdâtre dégueulasse

Tout le monde a peur de quelque chose, même si les gens peuvent refuser de l'avouer à qui que ce soit, y compris à eux-mêmes.

Mes peurs à moi se sont cristallisées vers le collège, grâce à ce merveilleux concept qu'est le harcélement scolaire.

J'ai compris ce qui m'avait pourri la vie pendant des années à un colloque scientifique, quand l'intervenant a parlé de phobie sociale et que j'ai hésité entre m'enfuir de la salle en courant et fondre en larmes sur place devant mes collègues.

Alors la phobie sociale, qu'est ce que c'est ? D'après les définitions que j'ai pu trouver sur Internet et le colloque susmentionné, c'est " la peur d'être jugé ou humilié en situation de perfomance".

Les gens ont généralement très vaguement entendu parler de phobie sociale. Pour eux, c'est quelqu'un qui est dans l'incapacité de sortir de chez lui/elle et d'affronter le monde, très souvent sous-entendu qui profite d'un "prétendu" mal être pour ne rien fiche. Deux mises au point sur cette vision là:

- l'incapacité de sortir de chez soi, c'est de l'agoraphobie et non de pas de la phobie sociale. Dans la plupart des cas, ca se développe suite à un traumatisme très fort (harcèlement scolaire, accident,etc... ) et ça ne s'accompagne pas forcément de phobie sociale même si ça va souvent ensemble.

- la personne concernée par cela n'est pas paresseuse, elle n'exagère pas ses réactions, elle ne se comporte pas ainsi parce qu'elle veut qu'on la plaigne (au contraire, un ou une phobique va éviter au maximum tout ce qui peut attirer l'attention sur elle)

Dans quelles situations ça peut se déclencher ?

Un ou une phobique va, le plus souvent, éprouver une telle aversion pour les interactions sociales qu'il va chercher à les éviter. Si cela reste impossible lesdites interactions sociales vont se trouver pratiquement totalement dysfonctionnelles. En voici une liste dressée par ma propre expérience. Je suis presque entièrement débarrassée de ce poids mort, donc certaines de ces situations sont bien plus gérables. Cependant, j'ai beau avoir réparé la plus grosse fissure, il reste plein de petites lézardes:

- répondre au téléphone.Cela est généralement une contrainte assez forte et chez moi une némesis absolue. De là découlent plusieurs stratégies d'évitement. Ca peut passer par la préparation en détails de ce que je vais devoir dire plus de la répétition du coup de fil comme une pièce de théâtre. Ca peut aussi se traduire en un après midi entier passé à coté du téléphone sans oser décrocher ou passer des coups de fil importants. Je passe sur les changements de tonalité vocale, les bredouillements, l'incapacité totale à faire autre chose en même temps. Mon corps entier est mobilisé pour surmonter l'épreuve.

- entrer quelque part sans la permission de quelqu'un avant (en mode vampire)

- devoir toucher les gens de quelque manière que ce soit, que ce soit par un high five, la bise, une accolade, un bro fist ou une poignée de main.

- devoir justifier son point de vue devant quelqu'un sans l'avoir étayé avec des données fiables

- devoir trancher entre les directives de deux personnes.

- devoir commander au restaurant ou demander quelque chose dans un magasin

- devoir parler devant des gens (réunions, soirées, etc)

- devoir se placer dans un espace restreint ou donné: m'assoir entre deux personnes, me placer dans une pièce etc

- devoir faire des choses en public

- devoir mener un projet

- toquer à une porte

- parler à quelqu'un du sexe opposé

- regarder les gens dans les yeux

Les situations sont très nombreuses et ceux qui m'ont connue au collège et au lycée sauront vous en citer plein d'autres.

Vous allez me dire "Hé, mais pourquoi tu as choisi de faire bibliothécaire, t'es toujours avec des gens, non ?".

Et bien je vous répondrai pour la même raison qu'un sportif handicapé fait du sport à haut niveau. Parce que c'est ma passion et que je ne vais pas la laisser tomber à cause de mon incapacité à être un être humain fonctionnel. Forcément que c'est difficile mais c'est pas une raison pour laisser tomber.

Quelles conséquences ? 

Je suis sortie de la phase d'évitement de toutes interactions, donc maintenant j'ai des réactions différentes et assez inédites pour moi car je ne peux plus ni rien fuir ni me cacher quand j'ai un pic d'angoisse. Voilà pêle-mêle quelques exemples:

- la respiration. Je ne m'en suis jamais rendue compte mais j'ai véçu très longtemps sans respirer ou avec un très petit volume d'air. Je pense que mes crises d'asthme n'en étaient pas réellement, c'était plutôt de l'asthme aux origines environnementales liés à des crises d'angoisse. Donc en cas de crise, soit c'est comme si un éléphant s'était assis sur mes poumons, soit comme si mon diaphragme était coincé, toutes situations peu agréables à vivre... Et c'est seulement en apprenant à mieux respirer que l'ampleur des crises d'asthme antérieures m'est apparue. Quand j'en ai maintenant, c'est comme si ma cage thoracique était trop petite pour mes poumons.

- la gestuelle. Je n'ai jamais été très douée de mes mains et j'ai toujours eu la coordination d'un paresseux sous lexomil. Cependant, quand je dois réaliser un geste devant quelqu'un, ledit geste sera toujours maladroit, saccadé et ma dyspraxie naturelle multipliée par mille.

- la température. Ca arrive moins maintenant et je crois que c'est lié au fait de rougir, mais pendant tout un temps, j'avais les joues en feu et comme des boosts de chaleur quand je devais faire des oraux, presque jusqu'à m'évanouir. Pour ceux qui m'ont connue à la fac, le radiateur humain, c'était ça...

- la voix. Après avoir passé si longtemps sans ouvrir la bouche, je me suis aperçue quand j'ai effectivement commencé à reparler un peu, que je savais plus la placer ou avoir le moindre contrôle dessus. A force d'exercices, j'arrive maintenant à la projeter dans le cadre de mon travail et de manière ponctuelle, mais d'une part, c'est épuisant et ca exige une vigilance incessante et d'autre part je peux pas maintenir cet effort dans une situation de stress.

- le discours ou le syndrome de la disquette vide. Je peux torpiller inconsciemment un projet ou une bonne chose pour ne pas avoir à faire une tâche qui me paraîtrait insurmontable. CF mon premier oral de concours où les deux tiers des réponses faites au jury ressemblaient à ça:

"rkjhgjsfhgkjfhgjhsfgjsjkghsjghsgbsjsd   dfsijghjghjksfghjfkjgfjk * blanc *fkljghkjfghkfgkjfghskjfhgkjhsfjkghsfjkghs"

Les mots, ou au moins qui arrivaient à sortir, arrivaient en une espèce de bouillie inintelligible par le commun des mortels, même avec la meilleure volonté du monde

- les nausées ou tout simplement l'estomac à l'envers par anticipation d'une situation compliquée

- le coeur qui bat à s'en détacher de la poitrine

- la déformation des mots et les bredouillements. Ca m'arrive de dire un mot pour un autre ou bien de pas arriver à retrouver le fil de mes pensées, surtout les jours où il y a beaucoup de public

- la perception par les autres : je ne compte plus le nombre de gens qui m'ont dit après coup : "Dis donc, la première fois que je t'ai vue, j'ai cru que tu étais débile ou méchante parce que tu parlais pas." Oui c'est bien, tu as compris le principe et tu n'es pas du tout en train d'encourager un cercle vicieux.

Quand tu vois un phobique social faire une crise ou être agobiado (avoir eu trop de choses qui représentent un défi pour lui), ça dépend de la personne phobique mais deux solutions se présentent à toi. Soit tu le laisses tranquille pour qu'il se relaxe tout seul, soit tu détournes son attention de la chose qui l'angoisse. Surtout ne JAMAIS le forcer à continuer ou à parler quand il est dans cet état.

Pourquoi j'en parle?

Parce que j'ai fait suffisamment de progrès pour pouvoir en parler sans en avoir honte et que mon expérience peut aider des gens qui souffrent dans la même situation. Je sais pertinement que faire face à des gens qui te disent que tu pourrais même faire plus d'efforts, être moins timide, qui te disent que tu les énerves parce que tu n'oses pas ou parce que tu as des symptômes physiques d'une angoisse interne, qui te disent que ça suffit d'avoir si peu confiance en toi, que tu pourrais quand même reprendre ta vie en main, tout cela peut blesser durablement. J'aimerais que ceux qui souffrent de ce vieux truc puissent se dire "Oui je suis normal, je ne suis pas fou,  j'ai juste besoin de réaliser ce que j'ai pour pouvoir vivre avec". J'aimerais leur éviter les regards de commisération des autres ou le syndrome du messie de certains qui se disent " Ah, je vais sauver cette pauvre personne qui n'arrive même pas à toquer à une porte. Je vais la maquiller, je vais la bousculer et elle va enfin pouvoir être heureuse grâce à moi".
Ca ne marche pas comme la vie. La guérison, c'est d'abord le / la phobique qui peut y arriver, à son propre rythme et en se reposant quand elle se sent trop fatiguée. L'entourage peut l'aider bien sûr, mais c'est d'abord un processus interne et qui vient de la personne concernée avant tout. C'est pas grave s'il y a parfois elle n'arrive à faire aussi bien qu'avant, si elle a besoin d'une pause avant de continuer à progresser. C'est normal.

Parce que j'aimerais que les gens comprennent que ce n'est ni de la timidité, ni du stress sans que pour autant ils te crient OH MON DIEU TU AS UNE MALADIE MENTALE GRAVISSIME. C'est un handicap social épouvantable mais il est possible de s'en sortir, avec ou sans médicaments selon le degré de gravité de la phobie. Parce que j'en ai marre que les gens se disent : "Roooh, mais elle fait tout un cinéma pour rien."

Parce que j'aimerais que les gens connaissent un peu ce trouble pour éviter que les auteurs ne pondent certains romans sans savoir de quoi ils parlent. Pour qu'ils ne fassent un personnage agoraphobe gay et qu'ils utilisent un autre personnage comme sucette géante pour leur faire sortir de la maison. Comme si le garçon avait besoin d'une récompense pour arriver à sortir de chez lui. Pour qu'ils n'assimilent pas phobie sociale et troubles auto destructeurs.Pour qu'ils décrivent la phobie sociale correctement. Parce que je ne sais moi, je ne vais pas me mettre à parler du calcul de la trajectoire d'une fusée alors que je n'y connais rien.


Parce que j'ai cherché sur Youtube et tout ce que j'ai trouvé, c'est un monsieur d'un certain âge qui pose devant une bibliothèque de livres scientifiques et qui a l'air de te faire un exposé. Je me dis donc que si tu as ce genre de problèmes, ça n'est pas un monsieur respectable qui te parle d'un ton docte de ce qu'il a étudié qui va t'aider à te sentir mieux... J'aimerais donc que les gens puissent en discuter si ça les soulage.

Voilà, à bientôt pour de nouvelles aventures en bibliothèque après cette parenthèse salutaire pour moi. Oui la prochaine fois, je vous fais un gentil petit article sur mon travail. Un article pas dérangeant pour personne.

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
P
olaalalala. Mais olalalalala comme je retrouve bien dans ce texte moi. <br /> <br /> Malheureusement d'ailleurs. <br /> <br /> Personnellement, j'ai tout le temps du mal a parler aux gens, en mode panique interieur, ce qui fait que ma pensée se fige et je suis bloquee interieurement. C'est epuisant. Même avec ma famille, meme mon conjoint que j'adore et même ma fille. Ce n'est que lorsque je suis seule que je peux prendre le temps de developper ma pensee. Bref. Merci pour ton texte.
Répondre
K
Ma magnifique Marion, ton texte m'a beaucoup ému. Tout ce que tu as gardé longtemps enfermé et coincé au fond de toi est en train d'éclore et de faire de toi quelqu'un de véritablement sincère, honnête et droit.On a tous des phobies plus ou moins fortes mais arriver à en parler aussi bien est une grande victoire. Moi j'ai toujours vu en toi quelqu'un de mal à l'aise bien sur mais surtout d'une générosité immense.Continue à prendre ton temps..Tu es en train de gagner toutes les batailles qui t'ont longtemps entravée.. je t'envoie tout l'amour que j'éprouve pour toi!
Répondre
La mansarde anglaise
Publicité
Archives
Publicité